Par Martine MOREL - psychologue scolaire
vendredi, 26 avril 2019
http://ash.dsden02.ac-amiens.fr/204-des-pistes-pour-nous-aider-a-enseigner-a-ces-enfants.html
“Pour pouvoir apprendre et être scolarisé, il faut entretenir un rapport de confiance au Langage, à l’Autre (se « soumettre »), à son propre corps, à l’espace, au temps, aux représentants du Cadre, à la demande scolaire (accepter d’être pénétré par le Savoir, donc s’ouvrir), à la Loi…”
Si un de ces rapports menace ou insécurise l’enfant, toute son attention sera focalisée sur cette insécurité et, évidemment ne pourra être mobilisée pour les apprentissages scolaires.
Contrairement aux autres types de handicaps (sensoriels, moteurs, voire autistiques), si on nous aide, on peut plus facilement accepter des fonctionnements différents du nôtre et de ce fait plus aisément les accueillir, les scolariser…
En ce qui concerne l’enfant avec TCC, on ne fait pas toujours l’hypothèse qu’il est porté par un autre mode de fonctionnement que celui qu’on connaît… le nôtre ( ?)…
On peut supposer qu’on a simplement à renforcer le cadre institutionnel, les interdits, les sanctions, les exclusions…
Mais au regard des pratiques, notamment en Institut de Rééducation, ces réponses portent peu leurs fruits…
L’idée étant de construire un espace de parole en réunissant régulièrement les enseignants volontaires pour leur permettre d’exprimer les impressions, les perceptions, les représentations, les affects qui envahissent la scène scolaire.
C’est un psychologue ou un psychanalyste (étranger à l’institution ?) qui permet de faire circuler la parole entre les participants, réinterrogant cette parole, apportant des éléments de réflexion, se portant garant du cadre de fonctionnement du groupe (respect de la confidentialité, du non jugement…).
Ce groupe d’analyse des pratiques permet de constater que les Autres sont confrontés aux mêmes attitudes, aux mêmes difficultés puis de chercher ensemble des pistes pour parfois réagir de manière différente… un travail de co-construction donc…
Mais également analyser le lien contre-transfériel enseignant-enseigné.
Le transfert représentant ce que l’enfant peut « rejouer » vis-à-vis de l’enseignant des relations qu’il a avec sa mère, son père…
Le contre-transfert évoquant tout ce qui peut intervenir (de la personnalité et des processus inconscients de chaque enseignant) dans la manière dont l’enseignant réagit au comportement, attitudes, relations, que l’enfant transfert sur lui, sur la scène scolaire.
En effet, face aux manifestations des troubles de ces enfants, l’enseignant est envahi par une foule de sentiments, d’affects et d’impressions qui agissent et interfèrent sur le lien pédagogique.
Chacun de nous porte un regard sur l’Autre, ici l’enfant, en fonction de ce qu’il est, de ses convictions, de ses croyances, de son histoire, de son éducation. Et chacun réagira en fonction de ce qu’il est.
Ces sentiments, convictions… sont souvent même inconscients.
Face aux attitudes des enfants qui font violence, qui nous font violence, nous aussi pouvons être tentés de réagir… par peur, de manière peu pensée…réactionnelle, dans le passage à l’acte parfois.
C’est humain.
Si les crises et les colères des élèves engendrent chez nous enseignants de la colère, du rejet, de l’exclusion, par crainte ou rejet de notre part, alors la spirale est amorcée.
Pour éviter que nous nous abandonnions à la panique, le groupe de parole peut nous aider à comprendre à nous comprendre et à proposer d’autres types de réponses, pensés, imaginés, proposés, prévus par le Groupe.
Enfin, par la description des attitudes des enfants, comprendre leurs mécanismes de défense, pour mieux « faire avec », les respecter et mettre en place des organisations pédagogiques différentes.
Ou de Collectif... (cf Yves Clot Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux) : « S’engager dans cette voie, c’est s’engager dans du conflit autour des critères du travail bien fait : le pouvoir d’agir, c’est la capacité à supporter les désaccords, car il faut se mesurer à ce que l’on n’arrive pas encore à faire ensemble. Dans les milieux professionnels, quand on n’arrive plus à « discuter boulot », la santé se perd. Or le pouvoir d’agir se conquiert grâce à des collectifs qui acceptent de considérer que : ce qu’on ne partage pas (encore) sur le travail qu’on fait est plus intéressant que ce qu’on partage déjà. »
Si un groupe d’analyse de pratiques ne peut se mettre en place, un travail au sein de l’équipe pédagogique peut exister, visant à « protocoler » les réponses face aux attitudes des élèves. D’abord réfléchir ensemble aux attitudes qui posent souci, les définir précisément, les lister et déterminer les réponses que l’ensemble des adultes proposera (importance de la cohérence !) : sanctions peut-être, à prévoir, hiérarchiser, qui soient tenables, non humiliantes, proportionnelles... mais sans oublier le volet « réparation » et aussi renforcement des bons comportements.
Rappel : une réponse doit intervenir très rapidement après l’acte.
Si on reprend ce qui est « attaqué » chez ces enfants (rappel)
L’axe principal : sécuriser l’enfant. Faire de la classe un territoire où l’enfant ne se sentira pas menacé.
On peut et doit parler des absences souvent angoissantes, marquer leur place (ils ne disparaissent pas, travail autour de la permanence).
Donner du sens aux apprentissages en favorisant la pédagogie par projets.
Ce projet (ne pas les multiplier en effet, pour éviter les morcellements, canaliser la pensée et les intérêts) peut servir de fil conducteur à la classe, proposer une histoire groupale à la classe, servir de Contenant. En outre, il va structurer le temps.
On peut proposer un thème, par ex celui du navire, où la classe est constituée comme un équipage, embarquée pour l’année ou une partie de l’année dans la même aventure, le voyage avec ses escales, ses découvertes et toutes les histoires qu’on charge progressivement.
Ceci constitue progressivement l’histoire de la classe, son mythe.
Il est intéressant de travailler avec ces enfants sur les Mythes et les Légendes. Écouter et réécouter des aventures humaines autour de l’origine, de la filiation, les rapports humains, l’amour, la haine.
Ils sont souvent également intéressés par le fonctionnement du corps humain.
On peut également mettre en place des « ateliers de philosophie »
Le fonctionnement intellectuel de ces enfants est souvent déstabilisant. En effet, ils peuvent s’intéresser, comprendre et intégrer des informations très pointues en un domaine, par ex les pyramides égyptiennes et ne pas avoir intégré la différence des sexes.
L’échec scolaire n’a pas envahi tous les domaines, tous les savoirs.
Il faut penser à utiliser la pédagogie de détour, c’est-à-dire partir des points d’appui, des domaines d’appétence, du connu, non marqué par l’échec. Les placer en situation de réussite pour les aider à restaurer leur « estime de soi ».
L’évaluation est difficile. A cause de leur disponibilité irrégulière. De leurs savoirs qui sont construits de manière non ordinaire.
Il est important de pointer avec l’élève les compétences acquises, de le rendre acteur de cette évaluation et de positiver.
Une attitude bienveillante est indispensable, penser et dire que l’élève est capable de réussir : notion d’EDUCABILITE.
A nous de lui tailler des objectifs à sa mesure.
De la même manière, parler des comportements adaptés et les valoriser (il y en a) est indispensable. Plutôt que de ne pointer que les comportements inadaptés ! (Renforcement positif) (permis de bon comportement, cartes de gratifications, ceintures de comportement)
Penser à apporter de la relation pendant que le comportement est adapté, en effet l’enfant a souvent mis en place la chaîne : comportement inadapté relation qui tend à renforcer les moments de comportements inadaptés pour trouver cette relation !
Attention à la manière dont on communique : parler d’un comportement plutôt que de la personne. « Tu es brutal » « pousser untel dans le couloir est brutal… »
Un comportement se modifie, tandis que si depuis des années, on nous taxe de « brutal, sale, violent, voleur », on en est persuadé, cela devient notre personnalité (causalité interne) et il est difficile de changer.
Stimuli parasites
Attention de courte durée
Fatigue. Compréhension des consignes, niveau d’écoute
Organisation
Idem pour le matériel à apporter quand c’est inhabituel.
Investir un travail, lenteur d’exécution
Découragement, démobilisation
Impulsivité, hyperactivité
Limiter les comportements inadaptés : canaliser l’élève, anticiper son irrépressible besoin de bouger, prévenir une crise :
Se rappeler que les attitudes de l’enfant ne sont pas « contre Nous », notre personne mais en réaction à ce qu’on lui propose, à ce qui l’entoure en lien à son insécurité intérieure… pas de culpabilisation, ni dévalorisation, ne pas se sentir attaqué personnellement
La pédagogie institutionnelle et notamment un de ses outils : « le conseil » peut aider à la gestion des comportements et notamment à la construction du rapport à la loi.
On peut penser à la mise en place d’une boîte à colère dans laquelle on mettra sa colère pour la sortir, la reprendre plus tard quand on ne sera plus en colère et la parler à froid.
De la même manière un pot à réparation peut être utilisé quand on aura détruit ou abîmé quelque chose. On y dépose un objet à soi ou on propose une réparation, car il faut bien réparer.
La mise en place d’une boite à souci peut également permettre à l’enfant qui arrive le « cartable » chargé d’une dispute à la maison ou autre, d’apprendre à tenter de se décharger de son souci quand il arrive à l’école, de se distancier, pour parvenir à endosser son habit d’élève et être plus disponible pour apprendre.
Cela évite également que l’enseignant ne devienne le réceptacle de tous les « soucis » rencontrés, vécus à la maison. Cela peut l’aider à demeurer enseignant.
Par contre, il peut proposer à l’enfant de rencontrer le psychologue si les soucis du même ordre perdurent.
Mais attention, ce ne sont pas des « recettes » à empiler mais à construire avec les élèves au fil du temps et des besoins.
Et évidemment ne pas travailler seul…
Si le comportement de l’enfant est reconnu handicapant, un cadre précis est prévu.
En dehors d’un institut spécialisé, une équipe de suivi de scolarisation (ESS) se réunit plusieurs fois dans l’année pour construire le projet de l’élève.
Y sont présents l’enfant, sa famille, le référent de la MDPH, l’enseignant ou les enseignants s’il y a intégration, le Directeur de l’école, le RASED, l’équipe de soins qui suit l’enfant (SESSAD, CMP, médecins…).
Un PPS est rédigé, évolutif qui permet d’échanger, détermine l’emploi du temps de cet élève, son projet pédagogique, de soins, le matériel ou le personnel dont il peut être accompagné (AVS, ASEH)…
Dans un institut spécialisé, le personnel est toujours présent : personnel de soin, éducateurs spécialisés et enseignants. Un PPS est également élaboré. S’y ajoutent les synthèses par enfant, régulières qui permettent de parler…
Dans le cas où l’élève n’est pas diagnostiqué « handicapé »…
L’élève n’appartient pas à un maître mais à une équipe !
Évoquer sa situation en synthèse, en conseil de cycles pour trouver des réponses de l’équipe entière, se rencontrer avec la famille, l’équipe, le RASED pour chercher des pistes, peut être des aides dans l’école ou hors l’école…
Privilégier le travail avec la famille est fondamental.
L’enfant est pris au sein d’un système (école, enseignant, famille) dont on ne peut faire fi.
« Si on nie la famille car elle ne semble pas proposer un cadre éducatif « idéal », l’enfant peut être pris dans un conflit de loyauté et mettre en échec ce qui sera proposé comme opposable. En effet nier ou reprocher à une famille son incompétence c’est détruire inconsciemment les premières identifications de l’enfant. De l’importance d’être bienveillant vis-à-vis de la famille. »